Le Grenelle de l'environnement (Premier acte)
Grand moment de débat et de concertation, le Grenelle de l’environnement se veut être le point de départ d’une réforme des politiques publiques de l’environnement. A l’instar des accords de 1968, qui portaient sur les questions sociales (salaire minimum, temps de travail), il devrait être à l’origine d’une nouvelle donne entre tous les acteurs de l’environnement. Quelques jours après la prise de fonction du nouveau Président de la République, celui-ci déclarait : « Le Grenelle Environnement sera un contrat entre l’Etat, les collectivités territoriales, les syndicats, les entreprises et les associations. Je veux que ce contrat engage les responsables » (Nicolas Sarkozy, le 21 mai 2007). L’opinion publique n’a d’ailleurs pas manqué de remarquer cette prise en main accélérée d’un sujet, préoccupation majeure des Français.
Processus et premières mesures
Lors de son lancement au début du mois de juillet 2007, l’objectif affiché du Grenelle est d’ « aboutir à la fin du mois d’octobre à un plan d’action de 15 à 20 mesures concrètes et quantifiables recueillant un accord le plus large possible des participants » (1). Trois étapes sont prévues pour recueillir un consensus sur les mesures à adopter en matière d’environnement. A la fin de la première étape, c’est l’occasion de faire un point, certes provisoire, des sujets abordés (et éludés) lors de ces conférences, notamment du point de vue de la question de l’eau.
Les débats du Grenelle sont organisés autours de six groupes de travail et de deux thématiques pluridisciplinaires (OGM et déchets). Les groupes de travail sont constitués de personnalités reconnues issus de collèges représentant la diversité des enjeux (ONG, Etat, salariés, employeurs, collectivités territoriales, personnes morales associées). Le résultat de ces trois mois de cogitation sont regroupés en six rapports d’environ une centaine de pages chacun et qui contiennent l’ensemble des mesures qui ont été débattues, faisant ou non l’objet d’un consensus.
La remise des propositions au gouvernement le 27 septembre 2007, a clôturé la première étape de ce Grenelle (2)
La somme de ces mesures couvre un très large panel de questions liées à l’environnement et au développement durable. Nous nous cantonnerons ici à renvoyer vers les différentes synthèses qui contiennent les mesures les plus représentatives. Nous nous sommes plus particulièrement attachés à étudier les travaux des groupes n°2 (Préserver la biodiversité et les ressources naturelles) et n°4 (Adopter des modes de production et de consommation durables : agriculture, pêche, agroalimentaire, distribution, forêts et usages durables des territoire) où la question de l’eau a été davantage évoquée.
Rapports 2 et 4 : de l’eau dans les mesures du Grenelle ?
Le groupe de travail n°2 a été en charge de thématiques aussi diverses que la conservation des espèces, l’aménagement rural, les ressources halieutiques, la biodiversité ultramarine, les sols et les ressources naturelles en eau. Un rapport de 143 pages intitulé « Préserver la biodiversité et les ressources naturelles » a été remis le 26 septembre, contenant les mesures proposées qui sont organisées en 4 axes.
C’est en particulier dans ce document que la question de la ressource en eau figure au titre des mesures et actions pour « stopper partout la perte de biodiversité » (premier axe), en troisième position, après la création d’une trame verte nationale (priorité n°1) et la conservation des patrimoines et ressources naturelles exceptionnelles de l’outre-mer (priorité n°2). L’annexe 2, qui présente les travaux du MEDAD et des agences de l’eau, expose le détail des mesures proposées sur la thématique eau. Intitulée « Vers un bon état des eaux en quantité et en qualité », celle-ci reprend la plupart des objectifs prévus par la loi du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques (LEMA) ou encore par la directive-cadre 2000/60/CE sur l’eau adoptée par l’Union européenne et transposée en droit français par une loi du 21 avril 2004. Quelques exemples de mesures nouvelles ont été choisis en raison des précisions qu’elles pouvaient apporter (certains thèmes tels que le risque inondation ou les eaux marines ont été volontairement écartés)
Concernant l’application de la Directive traitement des eaux résiduaires urbaines (ERU)
- « Supprimer définitivement le phosphore dans les produits lessiviels d’ici 2010 : après les lessives pour lave-linge (2007), il s’agit de s’attaquer aux lessives industrielles et lave-vaisselle (interdiction progressive 2008-2010 compte tenu des produits disponibles). »
- « Anticiper sur l’extension de zones sensibles en concevant dès maintenant des stations à long temps de séjour traitant par moyen biologique l’azote et le phosphore. »
Concernant l’amélioration qualitative de la ressource (bon état écologique du milieu)
- « Protéger les aires d’alimentation des 500 captages les plus menacés d’ici 2012 » (140M€/an sur 5 ans en mesures agro environnementales)
- « Atteindre en 2015 un taux de 66% de masses d’eau en bon état et viser 90% en 2021. »
- « Réduire de 50% le nombre de masses d’eau déclassées par l’hydro morphologie. »
- 100 000 km de cours d’eau bien entretenus en plus pour 2015 (+50M€/an, +10M€/an autofinancement, +40M€/an en subventions Agences+Départements+Régions)
- « Acquérir et préserver 20000ha de zones humides. » (50 à 100M€ à un rythme de 10 à 20M€/an)
- « Restaurer une continuité écologique des cours d’eau par la mise aux normes de 300 ouvrages et le traitement de 2000 ouvrages abandonnés. »
- « Mener sur 10% de la surface agricole des actions efficaces de lutte contre les pollutions diffuses agricoles. » (400M€ à financer sur 5ans)
Concernant les substances prioritaires
- « Mettre en place, pour 2009, un système de quotas d’azote organique. »
- « Instaurer, sur le modèle de la redevance pour pollutions diffuses, une nouvelle redevance due par les distributeurs lors de la vente d’engrais azotés. »
- « Réduire de 50% d’ici 2012 l’usage des pesticides dangereux et retirer d’ici 2 ans les plus dangereuses. »
- « Rendre effectives les incitations à réduire les pollutions dues au ruissellement pluvial urbain dans 10 agglomérations d’ici 2012 (bâtir les textes réglementaires d’application d’ici fin 2007) »
- « Réduire de 50% d’ici 2015 les émissions des substances dangereuses les plus prioritaires et de 15% à 30% les autres. »
Concernant l’anticipation de la rareté de la ressource en eau
- « Pour les collectivités, économiser ou réutiliser un demi-milliard de mètres cubes d’eau par an d’ici 2012 ».
Le rapport du groupe de travail n°4, intitulé « Adopter des modes de production et de consommation durables : agriculture, pêche, agroalimentaire, distribution, forêts et usages durables des territoires », s’est penché sur la question de la durabilité dans l’agriculture, l’agroalimentaire, la distribution et les usages des territoires. La question de la ressource en eau est envisagée du point de vue de la réduction des pollutions diffuses (usage des pesticides, pollutions par les nitrates et le phosphore, protection des aires d’alimentation des captages). En voici quelques unes :
Concernant la suppression des déséquilibres chroniques dans les territoires en matière de ressource en eau d’ici 2012
- « Lancer dès 2008 des opérations innovantes de gestion de la ressource (réutilisation d’eaux usées, recharge de nappes, etc.) et de gestion collective par la profession. Inciter à mieux adapter les cultures aux quantités d’eau disponibles »
Concernant l’interdiction de l’usage des substances les plus dangereuses et la réduction de l’usage des pesticides
- « Fixer la liste des substances qui seront interdites à compter de 2008, 2010 et 2012 en fonction des capacités de substitution disponibles (environ 50 molécules au total) ».
- « Homologuer dès 2008 des substances naturelles avec une procédure simplifiée. Elaborer en 2008 un guide de bonnes pratiques de traitement et rendre son application obligatoire »
Concernant la résorption des cas de dépassement des normes relatives à l’eau potable et à l’eutrophisation due aux nitrates et au phosphore en 5 à 10 ans
- « Développer la couverture des sols dès la prochaine campagne ».
Concernant la promotion des variétés végétales qui manifestent une faible dépendance vis-à-vis des intrants
- « Généraliser dès 2008 dans le dispositif d’évaluation des variétés leur dépendance vis-à-vis de l’eau, des pesticides, de l’azote, avec une pondération suffisante de ces critères. Etendre cette mesure aux variétés actuellement les plus cultivées déjà inscrites au catalogue ».
Concernant la protection des aires d’alimentation des captages d’ici 2012 :
- « Circulaire aux services de police de l’eau et aux agences de l’eau pour lancer les plans d’action et restreindre à moyen terme les possibilités de dérogation pour la distribution d’eau ».
Les mesures avancées par les rapports 2 et 4, si elles fournissent un certain nombre de précisions, suscitent néanmoins le questionnement. Comment sont financées les mesures ? Comment seront-elles mises en place concrètement ? Seront-elles assorties de mesures de compensation ? Sur le thème de la gestion des services d’eau et d’assainissement, que nous disent les 1000 pages de mesures issues de cette première étape du Grenelle ?
Deux remarques émergent : d’une part, la discussion sur le sujet a peut-être été freinée par le fait qu'elle avait déjà pour une grande part eu lieu dans le cadre de l'adoption de la récente LEMA. D’autre part, et concernant le groupe de travail n°2, d’autres sujets d’une grande technicité ont suscité une très forte mobilisation comme, par exemple, la question d’une agence pour la biodiversité, des critères biodiversité et carbone dans le calcul de la Dotation Globale de Fonctionnement des Collectivités Territoriales ou de la biodiversité au niveau planétaire. Comment expliquer alors que ce thème soit peu présent à l’intérieur des débats ? La réponse plausible à cette question peut être trouvée dans la première hypothèse, surtout si on y ajoute le principe de réalité qui a dû s’imposer aux membres du groupe de travail n°2 face à l’ampleur des sujets qui lui ont été confiés. Par conséquent, le rapport de synthèse 2 reste sur des considérations très générales en ce qui concerne la gestion de l'eau. De ce point de vue, l’étape de consultation du public devrait permettre de voir émerger des propositions concrètes pour mettre en œuvre les objectifs.
Il faut espérer que l’étape suivante pourra permettre de compléter la réflexion.
Vers l’étape de consultation démocratique…
Pour conclure, rappelons la suite du programme de ce Grenelle de l’environnement. La contribution du public qui devrait se dérouler durant cette deuxième étape est très attendue par le gouvernement. A partir des propositions d’action qui ont été faites, il est nécessaire que soit rendue possible une véritable consultation populaire. On attend donc que les objectifs qui ont été proposés soient maintenant débattus et complétés par le plus grand nombre. A ce jour, quelques mesures pratiques sont déjà évoquées, notamment sur la question de l’irrigation des golfs, l’usage de l’eau potable dans les ports de plaisance, l’assainissement autonome par les plantes, une tarification de l’eau progressive par tranches, le contrôle de conformité des branchements d’assainissement des immeubles d’habitation lors de la vente… Affaire à suivre, donc.
Prochains rendez-vous du Grenelle de l’environnement
Du 28 septembre et le 12 octobre 2007 : un forum a été mis en place afin de recueillir les commentaires des citoyens
Du 5 au 19 octobre 2007 : une consultation régionale du grand public et des acteurs locaux doit avoir lieu ainsi que des réunions interrégionales dans 17 villes de taille moyenne.
A noter également que doit avoir lieu la saisine de 10 organismes consultatifs parmi lesquels figure le Conseil National de l’Eau (pour le 15 octobre 2007).
Pour aller plus loin...
Sur la prise en compte rapide de la dimension environnementale :
http://www.liberation.fr/actualite/economie_terre/255075.FR.php
Les clés du Grenelle de l’environnement :
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3244,36-959424,0.html
Sur l’usage des pesticides :
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3244,36-959153,0.html
(1) Voir le communiqué de presse.
(2) Télécharger le dossier de presse.